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Interview de PROUDHON pour la sortie du Live session 2023 – 2025 (à paraître le 2 juillet)

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Un cover tout en nuances, textures et clair obscur

Après deux années sur les routes à porter les bonnes paroles du grind, PROUDHON se pose le temps d’enregistrer son set live en studio. On les a en effet entendus pendant deux ans depuis la Péninsule ibérique jusqu’à la Roumanie et dans toutes les contrées où ils prêchent ! Ainsi, bien sûr, qu’en France, notamment dans les studios de France 3.

Les voici donc de retour avec un son qui rend vraiment justice à leurs compositions (retrouvez ici très prochainement la chronique de cet excellent album).

Metal in Franche-Comté revient avec Thomas (batteur – chanteur – compositeur) sur ces deux années intenses et sur leur volonté d’en graver les traces dans le vinyle… avant de repartir en tournée européenne dès juillet (ces types seraient-ils stakhanovistes ?)

Sophie pour MiFC : Thomas, un grand merci à toi de te prêter à l’exercice de l’interview ! Entre tournées, studio, réseaux sociaux, tes autres groupes et engagements, prendre le temps de communiquer est loin d’être évident… J’ai même souvenir d’une date à laquelle vous avez assuré deux fois le set dans deux lieux différents (avec Alta Rossa avant Regarde les hommes tomber, puis aux PDZ). Cette hyperactivité est-elle le fruit d’une démarche volontariste ? Vous avez un plan pour convertir le monde ? Quelle est votre ambition pour PROUDHON ?

Thomas pour PROUDHON : Merci à toi Sophie ! Je ne pense pas qu’il y ait un but très précis pour notre projet mais, tout en restant honnête, oui je pense que nous avons envie d’être écoutés ! Personnellement, j’espère que l’on pourra à l’avenir jouer dans des événements plus importants, même s’il est inconcevable pour nous d’arrêter des concerts et tournées DIY. Concernant l’hyperactivité, personnellement c’est un trait de caractère assez déterminant chez moi (rire).

Nous tenons beaucoup au propos du groupe, notamment politique et c’est un plaisir de savoir que ça peut potentiellement parler à des gens et parfois leur faire du bien.

Sophie : Clairement ! Votre musique a un aspect cathartique, elle exprime bien « la colère du peuple » si je peux me permettre ce petit clin d’œil. C’est court, c’est intense, c’est brutal. C’est du grind. Mais pas que ! Certains passages sont « groovy », d’autres plus lents, lourds… Besoin d’un peu de douceur dans ce monde de brutes ? De laisser l’auditeur reprendre haleine ? De jouer sur les contrastes ?

Thomas : Alors, peut-être que certains autres groupes de la scène pourraient nous le reprocher, je pense que l’on peut représenter pour certains, ce genre de groupe qualifié de « false grind ». Il est vrai que, tous à l’intérieur du groupe, on aime d’autres styles, et que cela a une incidence concrète sur nos compositions. Je pense que nous sommes tous d’accord dans le groupe pour utiliser des éléments de styles différents pour exprimer certaines idées au travers du projet. Notamment dans les morceaux « Les Temps Nouveaux » ou « Les Temps Modernes » où certains pourraient percevoir des influences plus Sludge voir Screamo. Il est clair également que certains pourraient percevoir dans nos morceaux des influences Hardcore ou encore Metal « classique », quand bien même cela peut ne pas être conscientisé, nous ne pouvons pas effacer totalement notre adolescence et notre parcours d’auditeurs de musique !

Sophie : « False grind », j’ai souvenir d’avoir vu que vous utilisiez cette expression pour définir votre style sur une de vos affiches. J’adore cette idée de retourner la critique en la revendiquant, en lui donnant un sens autre, dans une forme d’autodéfense intellectuelle. 

Sur votre refus de vous laisser enfermer justement, vous tournez beaucoup, notamment à l’étranger, vous enregistrez… le tout sans être signés (me corriger si je fais erreur), fidèles à l’esprit do it yourself. S’agit-il d’une démarche politique visant à s’autonomiser des circuits marchands dominants ? Est-ce que vous pouvez prendre appui sur un réseau, un système informel, indépendant et solidaire ?

Thomas : Pour être très honnête, les premiers enregistrements de PROUDHON ont été produits dans des conditions très particulières, plusieurs labels ont pu sortir quelques copies de ces sorties mais effectivement, nous ne nous sommes jamais liés de manière totale à un label particulier. Nous pensons que pour le moment, ce n’est pas nécessaire. Nous travaillons actuellement sur un nouvel album, peut-être qu’il serait possible à ce moment-là de l’envisager.

Au sujet des « circuits marchands dominants », dans la scène à laquelle on appartient, même les personnes intervenant dans les labels restent des passionnés et sont souvent autant en difficultés que les groupes.

Sophie : C’est vrai que vivre de la musique est un défi, tant pour les musiciens eux-mêmes que pour les techniciens et toute la filière dans son ensemble, sauf à accepter des concessions ou des jobs « alimentaires ». Aujourd’hui, comment le public peut-il contribuer au mieux à encourager les groupes qu’il aime ? Comment peut-on efficacement soutenir PROUDHON ? Par les concerts ? Le merch ? L’achat direct des albums sur les sites dédiés ? Le bouche-à-oreille ? 

Thomas : Je pense que pour aider directement les groupes, aujourd’hui, cela passe beaucoup par l’achat de merchandising aux concerts, donner un peu plus lors des concerts « prix libre » même s’il reste absolument nécessaire que ce type d’événement soit à la portée du plus de monde possible.

Sophie : Dans le style dans lequel vous exercez, la virtuosité technique est loin d’être la règle. Pourtant, vos compos sont complexes, l’exécution précise, vos sonorités nourries d’une pluralité de styles. Est-ce que vous pouvez nous parler un peu de vos parcours en tant que musiciens et nous éclairer sur la diversité de vos sources d’inspiration ?

Thomas : C’est une question complexe (rire). Personnellement, je suis batteur depuis que j’ai 11 ans. Depuis ce moment, la musique a toujours été ma priorité. Nous avons eu quelques projets en commun avec Quentin et, notamment, Antoine (le compositeur du premier EP ainsi que du deuxième album de PROUDHON avec moi), mais sans que ça donne de résultats convaincants. Bien que, pour moi, la complexité ainsi que l’exécution ne soient jamais des critères artistiquement déterminants, je reste très exigeant avec moi-même sur la pratique de mon instrument. Quant aux inspirations, c’est très très large, il est assez difficile d’en faire la liste (mais je peux essayer !)

Whoresnation, Darkthrone, Celtic Frost, Brutal Truth, Pissgrave, Primitive Warfare, Caustic Wound, Slimelord, Internal Rot, Amenra, Wormrot, Six Brew Bantha, Gravesend, Magrudergrind, Autopsy, Discharge, etc.

Comme d’habitude avec ce genre de liste, je m’arrête là, parce que dans 5 minutes, j’aurai encore peut-être 20 idées supplémentaires. Peut-être aussi que certains pourraient ne pas être d’accord avec les influences citées et notre musique, peut-être qu’ils auraient raison et que j’en ai inséré certaines juste parce que j’adore (rire). Nous n’essayons pas forcément avec PROUDHON de ressembler à un groupe existant, nous tentons seulement de ne jamais être trop incohérent entre notre musique et notre propos.

Sophie : Thomas, tu assures le chant principal simultanément à la batterie, ce qui reste une performance rare. On entend aussi Maxime, le bassiste, aux chants additionnels. Le chant dans PROUDHON est rageux, déchirant ; il véhicule des émotions par lui-même. Mais votre musique a du sens et les paroles participent pleinement aux messages que vous portez… Si on en devine des bribes, on aimerait bien connaître davantage les textes ! Est-ce que vous avez prévu un livret avec l’album, par exemple ?

Thomas : Grâce à notre ami Till, qui a écrit environ la moitié des paroles des morceaux, nous avons des textes assez diversifiés. Beaucoup de personne nous ont fait part de cette volonté d’avoir accès aux paroles, nous avons donc écouté cette demande, et toutes les paroles seront disponibles sur l’ensemble des plateformes de streaming. Nous allons sûrement à partir de maintenant donner une importance grandissante aux paroles des morceaux, notamment dans leur diffusion. Malheureusement, les paroles ne seront pas disponibles sur le livret du disque.

(Si cela intéresse des gens n’hésitez pas à nous envoyer un mail à ce sujet, on vous enverra l’ensemble des paroles)

Sophie : Choisir de nommer son groupe comme l’auteur de « Qu’est-ce que la propriété », c’est un choix courageux, contraignant peut-être quand on connaît la posture de certains gardiens du temple. Est-ce que vous ne craignez pas qu’une telle figure d’inspiration vous enferme dans une allégeance ? Comment garder, avec une référence probablement lourde à porter, cette liberté créative qui vous caractérise ?

Thomas : De manière générale, nous n’avons jamais été enfermés par ce nom, sur aucun des aspects de la création. Nous n’avons justement jamais été dans l’allégeance. Nous avons choisi ce nom, premièrement, de manière très (peut-être trop) innocente, du fait de la relative anticipation, de la part de Proudhon, de la théorie de la plus-value avant Marx, ainsi que sa critique de fond de la propriété.

De plus, nous avons également choisi son nom pour une raison géographique, Besançon étant une ville ayant un héritage politique et militant assez important.

Après de multiples discussions, avec de nombreuses personnes, nous sommes conscients que ce nom peut questionner, gêner voire dégoûter. Nous nous sommes cependant toujours rendus disponible pour répondre à ces questionnements.

Peut-être qu’il faut alors encore préciser que nous sommes bien entendu opposés à toutes les dérives de Proudhon à savoir :

  • Sa misogynie
  • Son antisémitisme
  • Son réformisme

Sophie : La question qui fâche : vous revendiquez des valeurs émancipatrices, mais vous paraissez très « jeunes mâles blancs hétéros cisgenres » avec un bon capital culturel… Vous rendez hommage aux corps déformés par l’effort physique, en référence au milieu ouvrier (citons par exemple les canuts). Quid des femmes, par exemple des soignantes, qui se détruisent aujourd’hui le dos à prendre soin des plus dépendants ? Est-ce qu’on peut rêver que vous leur consacriez un morceau ?

Thomas :Cette question ne nous fâche pas et je pense même qu’elle est nécessaire. Premièrement, pour évoquer nos thématiques, je viens d’un milieu prolétaire de Haute Saône. J’ai voulu, après mon Bac, faire des études. Du fait de ma position sociale, il était obligatoire de travailler durant mes vacances scolaires. Étant déjà politisé à gauche depuis longtemps, les gens que j’ai rencontrés dans les différentes usines m’ont touché. J’ai été confronté à une violence de classe que peu de gens peuvent se représenter lorsqu’ils n’ont pas vu de leurs propres yeux ces lieux ou seule l’efficacité est la règle, au détriment de tout le reste. Ce premier acte a permis ensuite d’explorer plus largement la question du travail et de l’exploitation, ce qui fait que nos textes ne sont pas uniquement basés sur le travail industriel mais sur l’ensemble des prolétaires, dont les femmes font indubitablement parties.

Il n’est donc clairement pas impossible qu’un jour un morceau leur soit consacré.

Sophie : Votre approche de la scène est empreinte de générosité, votre dynamisme est communicatif et même enthousiasmant, vous avez du talent pour emporter tout le collectif dans votre élan. A l’origine, PROUDHON n’avait pourtant pas vocation à jouer sur scène. Quel rôle le public joue-t-il aujourd’hui dans votre musique ? Est-ce qu’il a un impact sur votre façon de jouer ou de composer ?

Thomas :Je crois que nous avons envie qu’un maximum de personnes présentes passent un bon moment. Je ne pense pas que la musique que nous composons ait pour but premier de satisfaire le public. C’est plutôt pour nous, dans un premier temps. C’est ensuite ce qui permet d’être communicatif !

Sophie : Quelle est votre méthode pour composer ? Est-ce que c’est toi qui écris pour tous les instruments ? Est-ce que Maxime et Quentin exécutent strictement, ou est-ce qu’ils adaptent les partitions ? Est-ce que chacun participe à un moment donné ?

Thomas : La composition de PROUDHON est justement en train d’évoluer. Lorsque la composition était assurée par Antoine et moi, les morceaux étaient organisés autour de la guitare composée par Antoine. Ensuite la batterie et le chant étaient greffés par mes soins. Maintenant que le line up que nous avons est stable, nous sommes plus motivés par une composition en groupe. Nous avons d’ailleurs 12 squelettes de morceaux, préparés pour un album à venir, où la participation de chacun est bien plus valorisée.

Sophie : Pour finir sur une note légère, est-ce que tu peux nous partager quelques anecdotes, s’il te plait ? Par exemple, quand on vous suit sur les réseaux, on note que vos tournées sont marquées par de belles rencontres, des moments forts partagés avec d’autres groupes et avec le public de différentes contrées. Mais aussi par des galères ! Peux-tu nous parler de la malédiction des véhicules ? Avez-vous songé à l’exorcisme ?

Thomas : Nous sommes particulièrement honorés du fait que dès les débuts en live du projet, nous avons été aidés par une multitude de gens, qui nous ont permis de rencontrer de nombreux acteurs, groupes, lieux, organisation DIY qui ont été des rencontres inestimables.

Alors, en ce qui concerne les véhicules, nous sommes effectivement maudits (rire) mais c’est aussi le cas d’un autre groupe dans lequel je joue, à savoir Dionysiaque ! Au-delà de la blague, ces problèmes viennent d’un constat très simple, nous n’avons tout simplement pas les moyens financiers pour nous permettre des véhicules « fiables ». Nous sommes donc souvent à la merci de ce que l’on peut obtenir pour tourner. Attention, ce n’est absolument pas une plainte, bien au contraire : comparés à beaucoup d’autres groupes, nous ne sommes pas à plaindre.

Si j’avais une seule anecdote à partager, ce serait lors de notre tournée avec CIVILIAN THROWER où nous avons été bloqués à Osnabrück en Allemagne pendant trois jours à cause d’un injecteur défaillant. Ces journées nous ont mis dans des états de pure folie et d’énervement, mais se sont finalement terminées par une bonne nouvelle : nous sommes repartis en trombe jusqu’à Dresden.

Ces situations sont effectivement particulières à vivre mais cela permet aussi de se rapprocher des gens, avec qui on vit des moments intenses et inoubliables.

Sophie : Avant de se quitter, il me reste à te remercier très chaleureusement et à souhaiter à PROUDHON de continuer longtemps à vitaliser les lieux où se joue la culture alternative.

Public comtois, surtout ne les manquez pas la prochaine fois qu’ils professent dans notre belle région ! D’ici là, vous pouvez toujours les retrouver sur la route et/ou sur les réseaux :


Bandcamp : proudhonbc.bandcamp.com

Insta : proudhon.band 

Facebook : ProudhonDeathGrind