Pendant les vacances de Noël Paul Pourchet est passé à la maison. C’était, enfin, l’occasion de réaliser une interview à propos de ses activités. Il en résulte une conversation d’une demi-heure passionnante. Bonne lecture !
Salut Paul, merci de répondre à cette interview pour Metal In Franche Comté, peux-tu te présenter ?
Merci à toi, c’est un plaisir. Je m’appelle Paul Pourchet, j’ai 27 ans, suis diplômé de l’École Nationale Supérieure Louis-Lumière et l’heureux propriétaire depuis, bientôt 3 ans, de Medvedkine Studio. C’est un studio que j’ai monté de toute pièce, seul comme un grand. Le but est de produire les artistes et films locaux. Je fais également du cinéma.
Tu vas enregistrer les groupes dans leur environnement, pourquoi cette démarche ?
Aujourd’hui avoir un gros studio avec une grosse salle pour enregistrer notamment les batteries ou un groupe en entier c’est assez compliqué, ça demande beaucoup d’investissement. Je me suis demandé comment faire pour à la fois créer un environnement de travail professionnel et en même temps à ne pas devoir acheter une maison rien que pour ça. Pendant mes études, et c’était très intéressant, j’allais enregistrer des artistes in situ à Paris. Il y avait toujours quelque chose d’assez beau parce que les artistes se sentent plus à l’aise et je dois m’adapter à eux et non l’inverse. Cette approche est vraiment sympa alors je me suis dit pourquoi ne pas revenir ici faire la même chose. Si les artistes ont un lieu adéquat avec suffisamment d’espace, une acoustique assez sympa et que l’on peut faire quelque chose. Pourquoi ne pas faire un setup d’enregistrement nomade ? Enregistrer là bas et avoir un lieu fixe de post-production, de mixage, de mastering. C’est ainsi que Medvedkine Studio est né. C’est une double référence en fait. Alexandre Medvedkine était un réalisateur Russe, bon la Russie n’a pas la côte ces temps ci, du début du siècle. Il avait un train avec, dans chaque wagon, ce qu’il fallait pour produire un film .Il avait un wagon pour l’image, un autre pour le son, il traversait le pays et s’arrêtait dans les villages pour réaliser des films avec les habitants. Il pouvait filmer, monter, et projeter les films. Je trouvais la référence sympa d’autant plus que Medvedkine est, également, un groupe de cinéastes à Besançon (avec Jean-Luc Godard par exemple) dans les années 70 qui avait pour but de proposer un cinéma plus accessible. Je trouvais la référence sympa pour la région. Voici le principe, enregistrer ailleurs, s’imprégner de l’ambiance, des lieux avec des musiciens à l’aise. Ça permet de ne pas avoir toujours le même son et obtenir quelque chose d’original.
Avant un enregistrement avec toi, donnes-tu des conseils aux groupes ?
Toujours. Je fais en sorte que les groupes soient prêts techniquement et surtout mentalement. Ce n’est pas rare qu’ils n’aient pas l’expérience et ne savent pas comment un enregistrement se passe réellement. Je fais le nécessaire pour que tout soit prêt : changements de cordes, de peaux de batterie etc afin d’obtenir les meilleures conditions. Je vais sur le lieu pour voir si c’est jouable. J’ai toujours trouvé un lieu pour m’installer et faire arriver les câbles. Je demande souvent des démos, lorsque les musiciens savent s’enregistrer eux-mêmes c’est très pratique. On peut discuter, il y a un vocabulaire commun et ça me permet d’écouter les compos et déceler d’éventuels problèmes d’arrangements. Je suis compositeur à côté et je peux tenter si on ne comprend pas quelque chose de trouver une solution. Ni l’enregistrement, ni le mixage ne pourront régler ce type de problème. II faut trouver comment faire pour que tout soit nickel avant même de poser le moindre micro. On a une grande phase de discussion, on détermine notamment le nombre de jours pour enregistrer et une fois que nous sommes d’accord « Let’s go ! ».
Tu es compositeur, tu as fait partie de groupes, serait-il possible de nous en parler ?
J’ai eu plusieurs groupes qui sont morts dans l’oeuf avant même de se produire sur scène. Le groupe qui a été le terreau même de ma carrière d’ingénieur son s’appelait Bordel Line. On a joué de 2010 à 2015 et on a produit un album. C’est cette formation qui m’a donné envie de devenir ingénieur son. Rétrospectivement c’était un échec mais ce n’est pas grave ! C’était un groupe de rock alternatif / metal alternatif, un peu fourre-tout . Nous étions six avec un tas d’influences, parfois ça marchait, d’autres fois moins. Dans ce groupe il y avait deux de mes meilleurs amis avec qui nous voulions devenir ingé son en même temps dont un que j’ai suivi durant toutes mes études. Les études ont fait que l’on s’est un peu séparé. On a voulu mettre en route un second album mais ça n’a pas pu se faire. D’un commun accord on a décidé d’arrêter. De ce groupe là est né plein d’autres combos dont les deux principaux sont Brutus Yukus, je m’occupe d’ailleurs du premier album, et Fractals dans lequel je joue. Nous composons, c’est un peu tumultueux, on voulait faire du live après on ne savait pas. In fine c’est un groupe de metal progressif / post rock qui a pour but de faire un album studio sans prétention de faire de la scène. Nous n’avons pas le temps pour donner des concerts avec ce projet. Pour revenir à Brutus Yukus c’est avec tous les membres de Bordel Line, excepté moi, je m’occupe de la partie sonore, le but est de se professionnaliser. C’est un groupe basé à Paris et on se voit de temps à autre. Bordel Line est le terreau qui a donné de jolies fleurs dont le studio.
"Voici le principe, enregistrer ailleurs, s'imprégner de l'ambiance, des lieux avec des musiciens à l'aise. Ça permet de ne pas avoir toujours le même son et obtenir quelque chose d'original." Paul Pourchet
Bon je connais un peu ton parcours avec Medvedkine mais pour les lecteurs peux-tu nous parler de tes collaborations avec les groupes rock / metal de la région ?
J’ai travaillé avec Monkeylong qui a sorti son premier album récemment, The Dirty Ones a publié également son disque il y a quelques mois. J’ai collaboré avec Assigned Fate pour un single et devrais travailler avec eux sur le deuxième album. Je suis également en train de travailler avec Roraema, le groupe de Chag (ex Hyana), j’ai travaillé avec son autre projet Deimoon, du doom metal. Il y a eu aussi Bysshe, c’était le premier groupe à m’avoir fait confiance, merci encore à eux ! Ce sont tous devenus des très bons amis. En dehors de la région j’ai travaillé aussi sur le dernier disque d’Igorrr avec l’enregistrement des guitares, du clavecin et des cordes. Je pense aussi à Öxxö Xööx, j’ai édité la batterie, fait du reamping et j’ai assisté le mixeur.
Tu parlais de Bysshe tu as parfois fait leur son sur scène ainsi que celui d’Assigned Fate au Sylak cet été, ça t’attire ?
Le son live j’aime bien mais j’ai moins d’appétence. Je le fais pour des groupes avec qui je suis ami. J’essaye de le faire plus pour prendre du plaisir que pour le travail. Pour Assigned Fate c’était beaucoup de stress parce que grosse scène entre guillemets, très peu de temps de préparation. C’était mon premier set avec eux. Nous avions fait une résidence à l’Atelier des Môles (Montbéliard) qui s’était plus ou moins bien passée. Disons que c’est une salle assez spéciale pour faire des résidences, lorsqu’elle est vide ça sonne de manière étrange. Au final ça s’est bien passé, ils étaient très contents et c’était du bon stress. Bysshe est le seul groupe que je suis régulièrement.
Avec Bysshe c’est une histoire qui dure depuis cinq ans maintenant.
Exactement, actuellement ils composent le troisième album. C’est en pourparlers pour l’instant. C’est une formation que j’apprécie tout particulièrement et avec qui je suis content de poursuivre l’aventure. Globalement ça se passe toujours bien avec les groupes. Les musiciens de Monkeylong sont devenus de très bon amis, Thomas Leclerc également, c’était une expérience incroyable. Nous avons une belle région ! Si je suis revenu ici c’était pour ça aussi. Je trouvais qu’il manquait une cohésion, quelque chose d’un peu central, une sorte de réseau. Revenir ici et donner quelque chose de commun à ces groupes, contribuer au développement de la scène locale c’est un bon challenge. Aider les groupes à avoir un bon enregistrement sans qu’ils aient à dépenser des sommes astronomiques pour aller dans un gros studio dans lequel ils ne seront pas forcément à l’aise ni parfois même écoutés.
Avec quels groupes aimerais-tu travailler que ce soit au niveau local, national voire international ?
Localement, Holy Fallout est très intéressant mais ils ont un ingé son dans le groupe alors c’est compliqué. J’apprécie beaucoup Waking The Sleeping Bear, j’ai découvert qu’ils n’étaient pas si loin que ça, on a un ami en commun. Ils ont un ingé son aussi. Dans un rayon un peu plus grand, Fractal Universe. Ce sont des musiques qui me parlent, avec des compos complexes, des idées d’arrangements intéressantes et des palettes sonores variées. Je vais travailler d’ici peu avec Sikfoal, un groupe de Morteau, des amis proches de Monkeylong, ça va être chouette. Il y a dedans l’ex batteur de Monkeylong avec qui ça s’était très bien passé ! Il y a un groupe incroyable que j’ai découvert récemment qui s’appelle Bruit ≤ . Ils ont, aussi, un ingé son avec eux (rires). Je suis beaucoup le label Kscope, Porcupine Tree, Steven Wilson c’est vraiment ma came. C’est une très grosse influence aussi bien en terme de compo que d’ingénierie du son. L’approche de Steven Wilson est très particulière et j’aime beaucoup. Je pense aussi à Pyschonaut, The Ocean…
C’est cohérent, il y a aussi Hypno5e, Klone…
Le prochain album de Klone va être incroyable, c’est le type de production que j’apprécie beaucoup.
Nouvel album de Klone en février !
J’ai hâte !
"Revenir ici et donner quelque chose de commun à ces groupes, contribuer au développement de la scène locale c'est un bon challenge." Paul Pourchet
Quels sont tes meilleurs souvenirs ?
Ça se mélange, il y en a beaucoup. Les meilleurs moments c’est lorsque avec les musiciens on prend à bras le corps de passer un bon moment. Il y a quelque chose dans l’ordre du séjour, on se met dans un mood. Je pense au super accueil de Monkeylong, de Bysshe. La salle de répétition de Bysshe avec son ambiance particulière, très 70’s, je suis accueilli à bras ouverts. Pour leur second album, je devais me mettre dans le garage pour être isolé avec mon petit casque, c’est aussi ridicule que rigolo comme situation. On a enregistré sur ce disque un morceau dans une vieille grange afin d’avoir quelque chose d’hyper naturel, on entendait le bois qui craquait, des sauterelles. On le retrouve sur l’enregistrement et c’est vraiment super ! C’est l’essence même de ce que je propose ! Aller capturer des lieux, des souvenirs, pas seulement de la musique. C’est vraiment chouette.
Si tu pouvais revenir en arrière, changerais-tu des choses sur tes productions ?
Il y a toujours des choses à refaire, ce n’est jamais vraiment terminé. On a telle influence, tel outil à tel moment. Beaucoup de biais font que l’on ne fait pas toujours le(s) meilleur(s) choix. Le but reste d’avancer et de progresser J’ai envie de progresser, de m’améliorer. J’ai fait très peu de choses parfaites, ça reste subjectif.
Surtout dans ce domaine, tout évolue…
Le matériel, le lieu. On apprend à connaître son matériel, ça demande du temps, de l’investissement personnel. On a aussi envie de changer de matériel parfois. Rien n’est défini, il n’y a pas de formule magique. Je ne travaille pas que sur du rock et du metal, les méthodes changent à chaque fois. J’apprends en production metal, ça me sert pour la pop et inversement. C’est en constante évolution et c’est ça que je trouve intéressant. On peut toujours apprendre, faire mieux. Un groupe A passe la porte, le groupe B passe la porte ça pourra être le même genre de musique ça ne se déroulera pas de la même manière. Ce ne sont pas les même gens, l’ego entre en jeu, les influences… Parfois je fais plus la nounou que l’ingénieur, plus le psy que l’ingénieur. Ça m’intéresse, des gens ont peur, d’autres sont persuadés de savoir faire et t’apprendre le métier. Je ne vis jamais la même semaine !
As-tu quelque chose à ajouter ?
L’endroit dans lequel je mixe va certainement changer, c’est une pièce que l’on me prête très généreusement. Lorsque j’accueille un groupe même lorsque je mixe c’est compliqué car assez petit. L’idée c’est de changer de lieu de mixage et potentiellement d’enregistrement. Ça se trouve l’enregistrement nomade ne sera plus la seule option. J’ai différentes pistes dont une qui me plaît particulièrement, à suivre… L’idée c’est de grossir, de rayonner en Franche-Comté, en Suisse, en France, voire plus. Il n’y a pas de limite ! Je ne me sentais pas capable de faire autant. J’avais comme idée , au départ, de trouver un studio à Paris, être assistant. Les gros studios se meurent, je pense qu’il faut trouver des méthodes alternatives au gros matériel qui coûte excessivement cher, à l’achat et à l’entretien. Le numérique offre beaucoup de possibilités qui permettent de faire un excellent travail sans avoir autant de coût et de contraintes. Je tente de m’adapter au monde actuel. D’après les professionnels je ne demande pas assez concernant les tarifs, je ne me sentais pas forcément légitime mais j’adore mon métier. J’ai un autre travail à côté, j’enseigne dans une école en Suisse qui s’appelle L’ECAL (Ecole Cantonale d’Art de Lausanne), j’enseigne à des jeunes à devenir cinéastes et pour certains ingénieurs du son. Je développe ce côté cinéma, j’essaye d’apporter ma petite pierre à l’édifice.