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Au Bastion, haut lieu bisontin de fermentation de groupes comtois parmi les plus savoureux, s’est tenue le 5 avril 2025 la deuxième soirée Inner Circle Tour, organisée par la toute jeune association doubiste Inner Void (née le 25/03/2025).

On ne leur en veut pas trop d’avoir débuté en Suisse la veille, c’était sans doute pour s’échauffer et arriver en pleine performance sur nos terres. Nous avons de plus bénéficié d’un groupe supplémentaire. Allez, on pardonne.

Le public arrive petit à petit. La tension monte… La fréquentation sera-t-elle à la hauteur des attentes ? C’est un véritable défi aujourd’hui d’organiser des concerts de metal sans y laisser sa chemise. Combien d’organisateurs ont coulé ? De lieux de spectacle, de cafés concerts, de petits monuments de la culture alternative… Nos trajectoires sont bordées de cadavres. Est-il encore possible de survivre en apportant des propositions non conformes au courant majoritaire ?

La réponse est oui ! Ce soir-là, les comtois répondent présents, l’association pourra poursuivre son œuvre. Souhaitons-lui beaucoup de succès !

Tandis que résonnent les premières notes caverneuses, nous nous amassons devant Panoptycon, qui relève avec brio le défi d’ouvrir le bal. Le groupe est en territoire conquis, à l’aise devant une salle qui sait apprécier leur livrée. Arrivée en état d’encéphalogramme plat, je suis vite saisie par l’énergie de leur musique, mélodique à cœur mais sans excès, enrobée d’une brutalité à réveiller les morts. La basse, pourtant un de mes instruments favoris, est à mon sens un peu trop en avant. Ce qui ne gâche en rien la puissance du set. Malgré mon inquiétude initiale, aucune cymbale n’a été blessée. On ne peut pas en dire autant des baguettes… Ça tape fort ! Et ça fait des dégâts.

Les compos sont certes accessibles, voire parfois un peu classiques, elles n’en restent pas moins efficaces, avec des passages d’une grande intensité. On profite de bons breaks comme on les aime, d’une alternance de rythmes lourds, pesants, qui vous entraînent dans le gouffre, quand soudain apparaît l’éclaircie, des instant suspendus, suggérant toutefois qu’on ne perd rien pour attendre, avant l’explosion soudaine de riffs martiaux, puis la reprise d’une course folle vers l’abîme. Les ambiances sont travaillées, nuancées, variées. Quelque chose d’écrasant s’en dégage, nous projette dans ces prisons panoptiques, sous la surveillance des drones, encerclés par l’oppresseur, comme certains enfants à cette heure dans quelques régions du monde… ou pour être plus optimiste, dans les gazomètres de Vienne, ces cités dont on ne saurait dire si elles sont utopiques ou dystopiques. Le temps passe vite, la salle s’échauffe, le groupe nous sert un show de qualité et conclut sur un final explosif ! La soirée démarre sous les meilleurs auspices.

Après une pause salutaire pour se remettre de ses émotions, arrive DANA (rien à voir avec la Tribu, il s’agit du sigle pour De l’Abîme Naît l’Aube). Autant le dire avec sincérité, je ne suis pas parvenue à entrer dans leur monde. Pourtant de grands efforts scéniques sont déployés. Tout y est : la petite mélopée note à note pendant que la chanteuse s’assied et prend un air pénétré, les ailes d’ange déchu dans le dos, les tenues blanches qui n’ont pu m’évoquer que des peignoirs – là où probablement l’effet recherché était en lien avec l’idée de pureté, l’utilisation du gong tout à fait dramatisée, le chant d’inspiration lyrique à la Lyv Kristin. C’est autant du théâtre que de la musique. Les paillettes nous sauvent du premier degré, mais je ne peux m’empêcher de trouver tout cela très kitch.

Leur son active des réminiscences d’un tremplin des Eurocks à la salle Parisot à Vesoul, à l’époque où on fumait en intérieur et pas des cigarettes, avec un groupe que seuls les anciens ont connu, mais dont les musiciens œuvrent désormais avec brio dans des groupes aussi classes que Membrane et Solstitium, à savoir Heimdall. A l’époque, il était plus simple d’adhérer avec moins de censure à ce style, il y avait encore une forme de fraîcheur liée à la nouveauté. Aujourd’hui, les ficelles semblent grossières.

Mais rendons justice à DANA, ils ont une forme de liberté qui est admirable. Il y a un grand mérite à s’exposer ainsi sans craindre les opinions d’autrui. Et cela fonctionne très bien sur une grande majorité de l’auditoire. Lorsque le guitariste descend pieds nus de l’estrade et déambule lentement tête baissée comme lors d’une procession, le public suit, immergé dans l’histoire qui nous est racontée. La sincérité profonde de la démarche convainc, ils récoltent un tonnerre d’applaudissement à l’issue. Quant à moi, je reste à côté, hermétique, à songer à la diversité des goûts et des jugements esthétiques.

Le groupe suivant se nomme Hellgate. Il œuvre de longue date, sans doute moins connu qu’il le mériterait. Ici, le filet de pêche remplace le peignoir. Mais très vite, le cadre change. Le style tranche. Les visages dissimulés sous des masques noirs et des capuches, les musiciens sont concentrés sur le son. Ici, moins de spectacle, plus de profondeur. On descend soixante pieds sous terre.

C’est lourd, dense, sans sacrifier à la diversité, avec des passages plus atmosphériques qui alternent avec des parties franchement furieuses. Le chant en français permet de profiter du sens des textes, travaillés, dont le contenu a de l’épaisseur ; c’est poignant.

Hellgate nous entraîne dans un voyage douloureux, de ces douleurs qu’on chérit, violentes mais cathartiques. Les étranges sautillements et gesticulations du chanteur sont étonnamment cohérentes et participent à l’odeur de folie qui envahit la salle, celle des esprits dérangés, torturés. La composition effleure le déstructuré, dans une forme de maîtrise du chaos.

Progressivement, nous nous laissons engloutir dans la détresse, avec un plaisir auditif immense. Le public plonge avec eux, jusqu’au frisson, sur des paroles désespérées qui font des nœuds avec nos corps, face à un monde qui s’effondre, au cri de la volonté de vivre ! Ils remuent le fond des tripes. C’est une claque ! Espérons les revoir très vite en terre comtoise, même si c’est potentiellement dangereux pour la santé mentale. Il faut peut-être avertir les solastalgiques de s’abstenir.

C’est enfin au tour de Je, qui entre directement dans le vif du sujet. Inutile de les présenter encore dans la région. La batterie gronde sourdement, presque menaçante. Peut-être martèle-t-elle toutefois de façon un peu trop mécanique par moments. Les cordes quant à elles, savent être juste dissonantes comme il faut, un régal !

Le public me surprend, plutôt statique et même presque policé. Pourtant, il apprécie et sait remercier avec enthousiasme à la fin. Un peu de fatigue se serait-elle installée ?

Quoi qu’il en soit, Je nous livre une belle prestation. Peut-être pas leur meilleure, on relève quelques couacs dont un faux départ, mais l’ensemble est bien mené, et avec un son vraiment appréciable pour qui les a vus dans des caves.

Morgan, en maître de cérémonie, rend hommage à feu le Président du Bastion. Emboitons-lui le pas pour souligner ici la résilience de son équipe et de la scène musicale toute entière.